février 6, 2021

Crises économiques et résilience des entreprises familiales

Par samibasly

La crise économique actuelle n’est qu’à son début et ses effets risquent malheureusement de perdurer. Affectant toutes les entreprises et particulièrement celles de petite et moyenne taille, elle risque d’entraîner un nombre important de défaillances et de faillites et une destruction massive d’emplois et de richesses. La plus récente crise d’envergure comparable – même si sa gravité devrait être, selon les experts, moindre que celle que nous traversons aujourd’hui – fut celle des subprimes éclatant fin 2007 aux Etats-Unis. Conjuguée à la forte hausse de prix des matières premières, cette crise économico-financière a entraîné la paralysie du système financier mondial puis la grande récession économique mondiale débutée en 2008. Elle a notamment engendré un resserrement et renchérissement du crédit et un manque fort de liquidités à cause de la défiance sur le marché interbancaire, les banques ne se prêtant plus de l’argent. Cette pénurie de crédit a constitué un frein puissant aux investissements et à la consommation, donc à la croissance. Par ailleurs, l’effondrement des marchés boursiers et de l’immobilier a entraîné une destruction de richesses qui là encore a pesé sur le comportement des ménages et des entreprises.

Les épisodes de crise interrogent continuellement la capacité des humains et des organisations à encaisser le choc, à rebondir et à apprendre, en un mot à être résilient. Aussi, avec le relatif recul, la dernière crise économico-financière peut-elle apporter des enseignements utiles dont peuvent profiter les entreprises aujourd’hui. Pilier fondamental du tissu économique, les entreprises familiales sont comme toutes les autres impactées par le crise actuelle mais leurs caractéristiques singulières peuvent révéler d’intéressants enseignements. Souvent critiquées pour leur immobilisme et rigidité constituant à certains égards des freins à la croissance, on se rend compte de plus en plus que la prudence tellement décriée des entreprises familiales garantit une stabilité importante et une enviable robustesse en période de turbulences. Privilégiant une vision à long terme, ces entreprises parviennent non seulement à amortir le choc des turbulences environnementales mais elles semblent également toute prédisposées à surmonter les difficultés et les échecs grâce à leur innovativité et réactivité.

Une enquête* que nous avons menée auprès de dirigeants d’entreprises familiales en 2012 – à la sortie de la crise des subprimes – nous a livré d’intéressantes observations quant à la résilience et à la pérennité de ce type d’entreprise. Si la majorité des répondants constataient la gravité de la situation économique et son impact sur leurs affaires, très peu d’entre eux (18,8%) déclaraient que cette crise économique augmenterait la probabilité que les actionnaires familiaux cèderaient l’entreprise. Et, la majorité de ces répondants (78,3%) nous déclaraient que cette crise n’a aucun effet sur l’intention éventuelle de cession de l’entreprise même si plus de la moitié des entreprises sondées (52,2%) auraient été approchées par un acquéreur éventuel au cours des 12 derniers mois. En fait, la non-viabilité de l’entreprise dans le contexte des difficultés économiques ne motiverait qu’une minorité (16%) des répondants à envisager une cession de l’entreprise familiale. Les dirigeants familiaux, et plus généralement la famille dont ils sont issus, manifestent un attachement solide à l’entreprise permettant de résister aux difficultés et ne pas céder aux tentations de cession qui sont synonymes d’échec voire de honte pour la famille propriétaire de l’entreprise. En réalité, ce qui pourrait motiver une cession de l’entreprise familiale serait surtout l’absence de membres de la famille motivés ou capables d’assurer la relève (pour 42% des répondants). Aussi, l’impossibilité de transmettre les valeurs de la famille aux générations futures serait-elle le principal regret (31%) qu’éprouveraient les dirigeants des entreprises sondées si jamais l’entreprise serait cédée.

Comme le démontrent de nombreuses études académiques, la recherche de la pérennité de l’entreprise, et sa transmission dans la famille, demeure le facteur de robustesse principal des entreprises familiales. Cette pérennité multigénérationnelle, qui engendre notamment des groupes familiaux multi-centenaires, ne peut se réaliser sans une soif entrepreneuriale et une envie de création et de renouvellement transcendant les générations. Les entreprises familiales avancent peut-être prudemment mais elles possèdent des atouts solides leur permettant une régénération stratégique durable. La crise que nous vivons peut leur être favorable et, une fois ses effets néfastes résorbées, leur permettre de profiter de nombreuses opportunités. Les répondants à notre enquête déclaraient que si la crise économique vécue était source de difficultés pour les entreprises notamment familiales, elle était également à l’origine de multiples opportunités. Notamment, plus de la moitié des répondants à notre enquête (51%) constataient la multiplication d’opportunités d’achat d’entreprises au cours des six derniers mois précédent l’enquête. Toutefois, malgré ce constat, seulement 20,3% de ces dirigeants étaient en recherche active de cibles à acquérir puisque leur préoccupation première concernait les actions de sauvegarde de l’entreprise contre les effets de la crise et les moyens de s’en sortir. Sans surprise, les entreprises familiales sont donc fortement engagées en matière de responsabilité sociale en mettant en place des mécanismes de préservation de l’entreprise et des emplois. A ce titre, notons que seulement 20% des répondants à notre enquête admettent avoir été obligés de licencier du personnel pendant les 6 derniers mois.

« Résilience » est le mot d’ordre en ces temps incertains. Les entreprises familiales, par leurs acteurs, par leurs ressources et surtout par leurs valeurs de solidarité, de sacrifice et de pérennité ont les atouts requis pour assurer leur résilience et contribuer à réinventer un monde nouveau. Parce que le « système » tel qu’on le connaissait semble péricliter et qu’un nouveau est désormais nécessaire..

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* Etude basée sur un échantillon de 69 entreprises familiales réalisant plus de 2 millions € de chiffre d’affaires annuel, répondant à une enquête par questionnaire postal menée de mars à mai 2012. Il s’agit essentiellement d’entreprises familiales de 2ème et 3ème génération (69% des cas) opérant principalement dans l’industrie manufacturière (29%), le commerce (36%) et la construction (17%).